mardi 8 décembre 2009

Perception du religieux dans le paysage urbain contemporain

La votation récente en Suisse sur l'interdiction de la construction de minarets soulève non seulement la question de l'intolérance manifestée à l'égard de l'Islam mais aussi la question de la place du religieux dans le paysage architectural.
En effet, nous percevons le paysage et nous le lisons à travers des clés et des repères qui nous orientent dans l'espace urbain ou rural selon une culture acquise dès l'enfance. Ainsi, on reconnaît presque immédiatement une mairie par sa place, sa façade où flotte le drapeau national et où on peut généralement lire la devise "Liberté, égalité, fraternité" etc. D'un coup d'oeil, on identifie ce bâtiment public et on perçoit ainsi la présence de la République dans toutes les communes. On peut aussi se demander comment on perçoit le religieux dans le paysage. Croyant ou athée, pratiquant ou non, ardent défenseur de la laïcité ou pas, tous nous savons reconnaître l'édifice religieux, même si, selon nos sensibilités, nous pouvons y voir un refuge ou un élément de notre patrimoine. Car le plus souvent, les églises - si nous prenons l'exemple des édifices catholiques - sont patrimonialisées malgré la pérennité des activités paroissiales. Dans les villages, elles sont ainsi généralement le plus ancien bâtiment, immédiatement reconnaissable par son architecture et par la place l'entourant.
Dans le tissu urbain, la question est plus complexe. Soit l'ancienneté et la monumentalité de l'église la classent immédiatement dans le patrimoine communal et on retrouve l'évidence des églises de village, soit l'édifice cultuel (et parfois le quartier qui l'entoure) est de construction récente et l'oeil du passant doit s'exercer à trouver des repères permettant l'identification certaine.
Pour illustrer mon propos, je prendrais un exemple parisien, dans le XVe arrondissement, près de la place Falguière : l'église Notre-Dame de l'Arche d'Alliance, construite en 1998.


   Premier indice : une plaque de rue. Mais comme tout nom de rue, elle n'indique pas forcément un état présent. L'appellation signale seulement le fait qu'il y a pu avoir à un moment donné une activité religieuse autour de cet axe. Renseignements pris, il s'agit bien du passage ordinaire d'anciennes processions de la paroisse (Saint-Lambert de Vaugirard ?). Cependant, le nom même de la rue inscrit une certaine culture chrétienne dans l'espace public.


En avançant dans la rue, on passe à proximité d'un édifice récent, d'architecture contemporaine dont l'aspect ne fait pas penser à un immeuble d'habitation, mais dont rien ne semble préciser au premier coup d'oeil la fonction.


Au pied du bâtiment, un square. Le rez-de-chaussée est complètement ouvert, sans murs, juste quelques pilliers de bétons, offrant un abri aux promeneurs et la possibilité de jouer au tennis de table.


Les grandes vitres de l'édifice laissent entrevoir un travail artistique plus visible de l'intérieur. Peut-être des vitraux ?


La petite tour métallique abrite des cloches laissant penser qu'il s'agit d'un clocher.

CLOCHER, subst. masc.

A. Construction en forme de tour qui surmonte une église ou s'élève à proximité, et qui abrite les cloches.
La vision d'un clocher fait directement référence à la présence d'une église. Le bâtiment en question serait donc une église.




Confirmation : à l'entrée se situant dans l'autre rue, on trouve l'inscription : "Eglise Notre-dame de l'Arche d'Alliance" et sur le panneau d'affichage, on annonce la possibilité de visiter l'église.


L'exercice d'identification présenté ici peut paraître poussif. Il rassemble pourtant les étapes de la perception du religieux dans cette rue parisienne. L'édifice, de construction récente, échappe en effet aux images-types des églises plus anciennes. L'observateur doit alors rechercher des indices permettant de lire le paysage urbain qu'il a devant lui. Outre la mention "église" à l'entrée ou sur le panneau d'affichage extérieur (on remarquera toutefois que rares sont les églises sur les murs desquelles on mentionne qu'elles sont des églises), la perception se fait plus claire à partir du moment où l'on repère le clocher. Car c'est effectivement le clocher qui, dans la lecture du paysage que l'on est amené à faire quotidiennement, nous informe de la présence d'une église. Sans ce clocher, cette église serait probablement invisible.
On touche ici à la fonction première du clocher : rendre visible l'église. D'un point de vue sonore bien sûr mais aussi d'un point de vue visuel. Le clocher est en effet normalement ce qui dépasse les autres maisons ou immeubles et permet de situer où se trouve l'église dans le tissu urbain. Il est le signe extérieur qui inscrit une religion (ici catholique mais elle aurait pu être orthodoxe) dans le paysage. 
Comme le clocher pour l'église, le minaret joue un rôle majeur dans l'inscription de la religion musulmane dans le paysage. Comme le clocher, il rend visible de façon sonore et visuelle la mosquée et on est en droit de penser que dans l'évolution de l'architecture religieuse musulmane le minaret, à l'instar du clocher, sera encore une clé de l'identification de l'édifice en tant que mosquée dans les prochaines décennies. Interdire la construction de minarets, ce n'est donc pas uniquement un signal négatif lancé aux citoyens musulmans, c'est bel et bien effacer du paysage la religion musulmane, la rendre invisible au passant et de fait nier une possible intégration...

1 commentaire:

  1. analyse de perception très intéressante. je vous en remercie

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