mardi 1 décembre 2009

Une invention contemporaine de reliques


La nouvelle est passée presque inaperçue le 20 novembre dernier : on a retrouvé des reliques de Galilée (voir photo ci-contre - AP). L'annonce, très sérieuse, a été faite par Paolo Galluzzi, directeur du Musée d'Histoire de la Science à Florence. L'histoire semble anecdotique, elle est pourtant comparable à la plupart des récits de redécouvertes de reliques même si, dans le cas de Galilée, il ne s'agit pas d'un "saint" au sens religieux du terme (on pourrait par contre lui accorder le statut de "héros" ou "martyr" de la science si on voulait faire un parallèle).
Un collectionneur (anonyme) a en effet acheté récemment lors d'une vente aux enchères des objets qualifiés de "non identifiés" placés dans un vase du XVIIIe siècle avant de s'apercevoir qu'il s'agissait d'ossements humains. Son enquête, dont les détails n'ont pas été rapportés par les médias, le conduit à penser qu'il s'agirait de deux doigts et d'une dent de Galilée prélevés sur son cadavre en 1737, soit 95 ans après sa mort, lors du transfert de sa dépouille dans la Basilique Santa Croce de Florence. A cette occasion un autre doigt et une vertèbre avaient également été prélevés et conservés par la suite dans des musées de Florence et de Padoue. De 1737 à 1905, les deux doigts et la dent furent conservés par une même famille avant que l'on perde la trace de ces reliques. L'acquisition récente du collectionneur anonyme est donc une redécouverte de reliques disparues depuis plus de cent ans... Le schéma de transmission de ces reliques est donc le suivant : prélèvement tardif lors d'une translation des restes - conservation dans un cadre privé - disparition des reliques - réapparition après authentification d'un objet dans un premier temps non identifié. Pour clore ce schéma, ajoutons que les reliques seront exposées à partir du printemps 2010 au Musée d'Histoire de la Science de Florence. Enfin, l'authenticité de ces reliques est affirmée à travers l'autorité savante, le directeur du musée ayant déclaré pour couper court à toute polémique : "A la lumière d'une documentation historique considérable, l'authenticité de ces éléments ne fait aucun doute".
Ceux qui connaissent l'histoire religieuse reconnaîtront dans ce schéma les étapes classiques de l'invention (au sens de "découverte") ou de la conservation des reliques. La différence avec ce qui est connu est sans doute l'extrême contemporanéité de l'évènement : il ne s'agit pas d'une redécouverte après un moment passé de crise (comme une révolution ou une guerre) que l'historien reconstitue à partir de ses sources mais d'une redécouverte fortuite dans un cadre à la fois antiquaire et scientifique qui a lieu sous nos yeux.
Ce qui change peut-être aussi est la réaction face à cette redécouverte. Si l'exposition est envisagée, les réactions des internautes ont été peu nombreuses. L'invention des reliques de Galilée se déroule donc dans une certaine indifférence. Ceux qui réagissent sont loin d'être enthousiastes. Bien au contraire, c'est le scepticisme qui prédomine. Il m'a semblé intéressant de noter les différents types d'arguments du rejet de ces reliques, tout en s'interrogeant sur leur continuité historique. Ces arguments ont été quasiment fixés au XVIe siècle par Calvin dans son fameux Traité des reliques (1543) dans lequel il synthétise et radicalise les arguments de ses prédécesseurs humanistes. Ses arguments sont, en résumé, de trois types : théologique (le culte des reliques est une idolâtrie), pragmatique (les reliques sont généralement fausses) et morale (la relique est un morceau de cadavre). Dans le cas de Galilée, l'argument théologique ne peut être utilisé puisqu'il n'y a pas a priori pas de culte. Cependant, on remarquera que le débat glisse parfois sur le rôle de Galilée dans l'histoire de la science, le "saint"/"héros"/"martyr" devenant un exemple et non une idole. Les deux autres types d'arguments sont par contre bien présents dans les commentaires des internautes. Je vous donne ici quelques exemples de réactions, classées par types d'argumentation.

Vraies ou fausses ?
Comme l'écrivait Calvin, "c'est une chose notoire que la plupart des reliques qu'on montre partout sont fausses et ont été mises en avant par moqueurs qui ont impudemment abusé le pauvre monde". Cette déclaration a marqué la critique des reliques jusqu'à nos jours et les lecteurs de l'information en sont également habités :
"Comment être certain que ces reliques proviennent de Galilée ?? Même son ADN ne peut être comparé avec rien du tout. C'est n'importe quoi et en tout cas, très laid" (un lecteur de la Nouvelle Gazette - Belgique)
"Comment être sûr ????? La police avait ses empreintes ou bien ils ont récupéré les fiches du dentiste ??????" (un lecteur du Figaro - France)
Signe des temps, là où Calvin avançait l'impossible authentification historique ou la multiplicité des reliques, c'est ici l'argument policier (empreinte ADN ou dentaire) qui prédomine...

Reliques et cadavre
"C'était l'office des chrétiens de laisser les corps des saints en leur sépulcre pour obéir à cette sentence universelle que tout homme est poudre et retournera en poudre", nous dit Calvin, renvoyant la relique dans la tombe comme les cendres d'un défunt. Deux siècles et demi plus tard, la révolution, dans son épisode déchristianisateur, a vu elle aussi certains de ses acteurs renvoyer la relique à son état morbide. Ainsi, en avril 1794, un ancien prêtre constitutionnel dénonce au district de Toulouse les pratiques de la municipalité de Pibrac : "Vous n'ignorez pas sans doute qu'un cadavre, nommé sainte Germaine, existe dans l'église de cette commune et que ce cadavre est regardé comme saint". Plus loin, il le qualifie même de "corps pourri" (cité dans Stéphane Baciocchi et Dominique Julia, "Reliques et Révolution française", in Reliques modernes, p. 551-552). Dans certaines villes pendant la Révolution, les reliques sont d'ailleurs inhumées, comme celles de saint Remi à Reims. Du sentiment religieux de Calvin, en passant par la Révolution, l'évolution du regard désacralisateur sur la relique se poursuit aujourd'hui alors que le commerce des reliques corporelles est prohibé sur eBay, le règlement précisant que "la vente d'organes, de tissus, de cellules, de sang et de tout autre produit du corps humain est strictement interdite sur le site". A l'heure où la relique est redevenue partie de corps humain, les internautes ne se privent donc pas d'argumenter leur dégoût devant la future exposition des reliques de Galilée :
"Personnellement, j'ai du mal à comprendre comment on peut en arriver là. Qui voudrait des morceaux de cadavres ? Peu importe à qui était le corps à la limite, je trouve ça tellement morbide et sans aucun intérêt. Autant, je peux comprendre les pilleurs de tombes qui récupère des objets précieux, autant, là, ça me dépasse..." (un intervenant sur www.forum-religion.org)
"La façon dont on déterre et exhibe les corps est vraiment dégoutante. Est-ce que ces gens aimeraient que l'on déterre leurs parents et qu'on les expose ?" (un intervenant sur newsvine.com)
"Mon Dieu, c'est morbide, primitif et inexcusable... Rassemblez tous ses morceaux et arrêtez ça... Accordez-lui le respect que nous voudriez tous pour nous-mêmes dans la mort. Enterrez-le... En entier... En un seul endroit... Et laissez-le tranquille" (un autre intervenant sur newsvine.com)
"Certaines des idées de Galilée sont des vérités éternelles. Toutes les parties de son corps détériorées devraient être enterrées. Si une de ces institutions se pliant à la curiosité de mauvais goût du public avait un peu de classe ou de décence, elle remettrait ces morceaux de corps dans la tombe de Galilée" (un autre intervenant sur newsvine.com)
De l'argument religieux de Calvin et de la polémique anticléricale des révolutionnaires, la question du rapport entre reliques et cadavres s'est donc déplacée sur le domaine de la sensibilité. La relique est ici humanisée, elle est aux yeux de ceux qui réagissent ainsi véritablement un morceau de cadavre - l'argument n'impliquant ici aucune autre arrière-pensée - et cela leur est insupportable. Ainsi la comparaison entre reliques et cendres, si l'on peut bien affirmer qu'elle était déjà présente chez Calvin, ne semble pas forcément relever de la même logique.

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