lundi 22 mars 2010

Abstention des électeurs et abstinence des journalistes

Les élections régionales se sont donc terminées par un record d'abstention électorale. Depuis la fin du premier tour, les analyses vont toutes dans la même direction. Les partisans de gauche y voit un désaveu de la politique sarkozyste, une abstention sanction et un inquiétant désintérêt de la chose politique. La droite par contre n'y voit qu'un rejet de la politique (de gauche et de droite) et la preuve que la région en tant qu'institution n'est pas comprise par les Français et qu'il est donc nécessaire de la réformer au plus vite. 
Objectivement, les arguments de l'abstention-sanction ou du désintérêt de la politique sont sans aucun doute valables et expliquent partiellement la gigantesque partie de pêche à laquelle les électeurs se sont livrés ces deux derniers dimanches. Un autre argument existe cependant qui n'a, à ma connaissance, été avancé par personne : celui de la faible couverture médiatique du scrutin. L'élection présidentielle avait pourtant provoqué une énorme mobilisation de moyens pour couvrir au mieux la campagne. Chaque grande chaîne de télévision y allait de son émission-débat, de ses reportages, de ses interviews, faisant vivre la campagne au jour le jour au téléspectateur forcément concerné. Le record de participation était alors à la hauteur de la couverture médiatique et de son développement sur le web. Pour les élections régionales, on est obligé de constater que les journalistes se sont abstenus, ou ont fait au mieux le service minimum : quelques débats tard le soir sur France 3 en région, quelques interviews de leaders politiques, quelques polémiques (Soumaré, Frêche) et puis... rien. On me répondra que si les grands médias n'ont pas couvert l'évènement avec un maximum de moyens, c'est parce que cela n'intéresse pas les Français. On peut pourtant retourner l'argument : et si l'élection n'avait pas intéressé les Français parce qu'ils ne pouvaient pas la suivre médiatiquement ? Et si les médias avaient un devoir d'information et de pédagogie ?
Il suffisait de suivre la soirée électorale à la télévision pour comprendre que les journalistes n'avaient pas l'intention d'en faire l'évènement de l'année. TF1 avait prévu de rendre l'antenne à 21h15, France 2 à 21h30. Quant à France 3, le décrochement régional n'a pas toujours eu lieu faute de salariés non grévistes. Les grandes chaînes invitant les mêmes personnalités (au discours calibré), on ne pouvait circuler entre elles que pour voir les différences entre les estimations et non pour rechercher des analyses diférentes. Il ne fallait évidemment pas s'attendre à voir apparaître sur l'écran une tête de liste provinciale, la parole était le monopole des responsables de partis, l'esprit déjà en 2012 tout comme les journalistes. Sauf, évidemment si on s'appelait Georges Frêche - dont l'élection haut la main est bien la preuve d'un fossé entre Paris et la province - ou si on se présentait en Alsace décrétée zone à suspense pour la soirée du 21 mars. Les rédactions avaient choisi six régions-test où il y avait à leurs yeux un intérêt, les résultats étaient donnés à la louche pour le reste et le débat national pouvait commencer. Pour les électeurs de Franche-Comté ou d'Aquitaine, il fallait prendre sa télécommande et aller voir ailleurs. Heureusement, les chaînes d'infos comme BFM-TV et I-Télé proposaient une vraie soirée électorale avec des résultats diffusés en continu en bas de l'écran. En qualité, les chaînes de la TNT ont fait hier de l'ombre aux grandes chaînes, personne ne peut le nier.
Mais les mêmes reproches peuvent leur être adressés : interviews de personnalités nationales, résultats de régions globaux et peu détaillés. On attendait désespérément une analyse plus fine de la situation ou poindre une inquiétude face à la montée des régionalistes en Corse. Rien. Il fallait, pour en savoir plus, aller sur le Net ou reprendre en main sa télécommande et poursuivre le zapping en allant plus loin, vers les chaînes qui, sur ma Freebox (désolé par la pub), se trouvent au delà du numéro 200, celles qui portent des noms aussi exotiques (aux yeux du parisien) que TV8-Mont-Blanc, TV7 Bordeaux ou Clermont-Première. Là on trouvait un peu de fraicheur (TV7 qui invite les étudiants de Science-Po Bordeaux à participer à la soirée électorale) et des têtes qu'on ne voit jamais mais qui sont présidents ou vice-présidents de région. Des discours aussi qu'on n'entend jamais, des arguments politiques régionaux (oui oui, ça existe) qui sont pourtant essentiels à la compréhension d'un scrutin local. Sur TV8-Mont-Blanc, on apprenait ainsi qu'écologistes et socialistes de la région Rhône-Alpes n'étaient pas forcément sur la même longueur d'ondes sur le dossier de candidature d'Annecy pour les JO d'hiver. Une élue écologiste nous expliquait la position de son mouvement sur le CIO, sa volonté d'une éthique des sponsors olympiques et des rapports entre jeux olympiques et paralympiques. Sur TV7-Bordeaux, le présentateur du débat n'hésitait pas à se faire expliquer la répartition des vices-présidences entre les partis, demandait des précisions sur les débats dans la majorité régionale sur le projet de LGV tandis que ses collègues, aidés par les étudiants de Science-Po, proposaient une analyse plus fine des résultats permettant de comprendre que le score honorable du Modem en Aquitaine (15.65 %) était aussi le fruit d'une implantation locale de Jean Lassalle qui recueillait près de 25 % des voix dans son département des Pyrénées-Atlantique.
Avec de petits moyens, on avait là une information de qualité aidant le téléspectateur-électeur à envisager plus clairement les enjeux de l'élection régionale. Pendant ce temps, les Experts tentaient sur TF1 d'élucider un nouveau crime. Quant au problème de l'abstention ou de l'information politique, les rédactions des grandes chaînes n'ont pas encore trouvé d'experts en la matière et attendent 2012 pour le grand spectacle.

1 commentaire:

  1. anne szylowicz22 mars 2010 à 13:57

    Très intéressant et Très pertinent! (comme d'habitude!).
    Puis-je partager?

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