mercredi 30 septembre 2009

Films amateurs et régionalisme : de l'usage des images privées dans la promotion du terroir

Parmi l'impressionnante et souvent inutile liste de chaînes de télévisions proposées par les fournisseurs d'accès ADSL, vous avez sans doute remarqué l'existence de chaînes locales désormais disponibles à l'échelle nationale. Parmi elles, je voudrais signaler l'initiative de TV8-Mont-Blanc qui diffuse une série intitulée Feuilleton d'une mémoire heureuse. La Cinémathèque des Pays de Savoie, dépositaire des bobines de films ayant servi au montage des dix épisodes de cette série documentaire, propose sur son site un descriptif détaillé de cette production.

Le projet consiste en un montage de films amateurs, tournés entre 1940 et les années 1970, pour proposer "un voyage intemporel inédit, une découverte des territoires des Pays de Savoie, de l’histoire locale, de l’histoire vécue…" pour reprendre les termes de présentation de la maison de production Kanari Films. Les réalisateurs, Marc Rougerie, Jean-Stéphane Doignon, Stéphane Perriot et Gilles Perret, ont sélectionné des séquences tournés par des amateurs, locaux pour la plupart. Le choix des cameramen ressemblent à une liste d'auteurs d'un éditeur spécialisé dans le régionalisme : un curé, une paysanne, un instituteur, quelques journalistes, un parisien amoureux du pays. Un seul pourrait ressembler à un professionnel, Joseph Léger, photographe à Saint-Jean de Maurienne. D'entrée, on peut donc faire un parallèle intéressant entre des livres régionalistes et ce feuilleton redonnant vie à l'"histoire vécue" des Pays de Savoie, une histoire forcément heureuse, nostalgique d'un âge d'or perdu. L'objectif est le même : transmettre une mémoire du terroir même si ici l'écrit ou la carte postale fait place à l'image animée, comme une concession faite à une modernité à laquelle on ne peut échapper. Les images sélectionnées montrent cependant, pour la plupart, des villages qui ne sont pas encore "envahis" par les touristes (même si les débuts des stations de skis sont évidemment montrés). Elles décrivent un mode de vie traditionnel qu'on a l'habitude de voir figé sur les illustrations de livres et qu'on voit ici de façon vivante.
Ainsi l'image privée devient image de terroir sans que, dans certains cas, l'auteur n'ait eu conscience de la production d'une mémoire régionale. Car si quelques-uns jouent dès la prise de vue la carte folkloriste, d'autres ne semblent filmer que pour le plaisir de la caméra. C'est le cas, par exemple, de Joseph Léger, photographe professionnel, qui filme en priorité sa vie familiale. Ses films sont marqués par un souci évident de la mise en scène. Le témoignage de son épouse nous précise que J. Léger n'hésitait pas à faire recommencer une scène à ses enfants pour arriver à ce qu'il voulait. Cependant, il est vite rattrapé par la municipalité de Saint-Jean de Maurienne qui l'engage pour le tournage de films promotionnels sur la région ou encore pour la visite du général De Gaulle en 1960 à l'occasion du centenaire du rattachement de la Savoie à la France. Ces expériences sont toutefois pour lui des exceptions, tant il préfère filmer les randonnées avec ses amis, les jeux avec ses enfants ou encore des évènements exceptionnels comme des inondations. Ces films n'avaient alors d'autres destinations qu'une projection dans la maison familiale entre amis et proches.
Le montage en forme de feuilleton régionaliste donne une autre finalité à ces images. On est désormais en présence d'une mémoire du passé, d'une région. La mémoire familiale s'inscrit maintenant dans l'histoire d'un terroir diffusée sur une chaîne locale (paradoxalement à diffusion nationale). La modernité d'un tournage à l'époque s'est transformée en traces d'une vie traditionnelle. Le caractère privé s'est mué en mémoire collective. Le processus n'est cependant pas nouveau. Ainsi les mémoires de paysans ou de nobles n'avaient bien souvent pas vocation à être publiés. Ces écrits s'inscrivaient dans une transmission privée de la mémoire familiale et ne sont devenus des témoignages du terroir qu'en passant par le catalyseur des publications régionalistes. Par contre, ce qui est incontestablement nouveau, c'est le support de ces mémoires. On peut donc se demander si le développement des chaînes locales grâce à la télévision numérique verra apparaître de nouvelles expressions du régionalisme jusqu'ici cantonnés à l'écrit et au spectacle vivant.

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